31 personnes se retrouvent à cet endroit magique chargé d'histoire religieuse .C'est en 935 ou 936 que saint Gauzelin (evêque de Toul) fonda l'abbaye de Bouxières sur le sommet d'une montagne, au pied de laquelle coulent les eaux de la Meurthe,et qui perdurera jusqu'au moment où les couvents furent détruits en France, c'est-à-dire à la Révolution,
Les religieuses qui s'y établirent adoptèrent la règle de Saint Benoit et vécurent longtemps dans une grande régularité. Saint Gauzelin eut soin de donner au nouveau monastère des biens suffisants pour l'entretien des religieuses qui devaient l'habiter.
C'est Jean Claude aujourd'hui qui assure le commentaire du film et Marie Thèrèse surveille le parcours, qu'elle connait bien, arpenté souvent au cours de son enfance à Bouxieres . Mais tout a bien changé , puisqu'on est passé de 400 âmes en 1950 avant la grande mode des lotissements à près de 5000 individus bien répartis sur ce territoire trés vaste. Ce village a fait l'objet d'un ouvrage récent et remarquable d'un écrivain local Mr Lucien Geindre, intitulé" Bouxieres aux Dames et son abbaye " que je vous recommande vivement en raison des informations qu'il contient sur la vie de cette très ancienne commune .
Quant au parcours du jour, nous pensons qu'il aura plu à tout le monde, boisé et bien protégé du vent frais du jour, ramené à 10 kms pour coller au mieux aux souhaits des participants de cette balade -
et même la gendarmerie viendra nous saluer à la fin de notre périple .. Mais pour les parts de tarte pas question ... et encore moins le muguet trouvé par Marcel
la
pelouse et ses chanoinesses pour les photos du jour
et le compte rendu de l' E R sur l'incroyable histoire de l'abbé Cézard aprés la dernière guerre qui défraya la chronique (apparitions de la vierge, édification d'un sanctuaire dédié et intervention de la police en 1948 )
et comment vivait on entre deux guerres, un week end à Bouxières . Ci dessous pour en savoir plus
et le compte rendu de l' E R sur l'incroyable histoire de l'abbé Cézard aprés la dernière guerre qui défraya la chronique (apparitions de la vierge, édification d'un sanctuaire dédié et intervention de la police en 1948 )
et comment vivait on entre deux guerres, un week end à Bouxières . Ci dessous pour en savoir plus
A BOUXIERES AUX DAMES
Mes parents se rendaient le Dimanche chez mes grands-parents et ce, presque tous les quinze jours. Nous partions à pied vers Bouxières. Le départ se situait entre 10 H et 10 H 30 afin d'arriver pour l'heure du repas. Nous mettions une heure pour faire cinq kilomètres et à l'âge de six ans, je figurais parmi les grands piétons. Nous passions par la Haute Lay et en un quart d'heure, nous étions à Lay. Papa, connu, saluait beaucoup de personnes accompagnant cette politesse d'un sourire, d'une parole aimable ou d'une blague ; il s'attirait les remarques de maman qui sélectionnait ses saluts et ne saluait "pas n'importe qui". Et nous avancions mes mains prises dans une de chacun d'eux, nous dépassions la Cartonnerie située près de chez Raval. On fabriquait du carton à Lay, eh oui ! En recyclant de vieux papiers et des filtres usagés des Brasseries. Les feuilles de cartons séchaient sous des hangars et, pendant la semaine, la machine à vapeur envoyait sa fumée et son bruit de teuf-teuf.
Nous commencions à monter et nous passions sous le Sana. Une pancarte arquée mentionnait en grosses lettres "SANATORIUM". De loin, cette immense maison me paraissait belle, placée sur un fond de sapins et de verdure, mon père disait "c'est les tuberculeux" et d'après les réponses qu'il me donnait, il me semblait que ces malades portaient la responsabilité de leur maladie. Une ou deux voitures nous croisaient, c'était tout. Rares étaient ceux qui s'arrêtaient pour nous charger. Bref, nous arrivions au sommet et nous allions descendre la Côte des Corvées, la Tuilerie, chez Alten, le Café "A Robinson" chez Fix. Des gens nous saluaient, Papa répondait aux "Salut Bébert", c'était son pays. Nous remontions par derrière le château et encore quelques minutes et nous serions accueillis . Je me souviens, si nous avions un léger retard, j'entendais le bruit des cuillères raclant dans les assiettes et l'odeur du pot au feu en passant devant les maisons ; l'appétit décuplait.
Chez les grands-parents, la porte d'entrée était toujours ouverte ; Marquis, le beau Fox, venait au devant de nous. Nous entrions. Des exclamations, des embrassades, le visage de grand-père piquait et la grand-mère s'affolait pour mettre ses couverts et surveiller sa cuisine, échanges rapides de nouvelles. Mon oncle, ma tante et mon cousin arrivaient et nous nous asseyions autour de la table ronde, maman participait au service de la bouche, aidant la grand-mère, et le repas débutait par la soupe du pot-au-feu, suivaient les légumes, les viandes de boeuf et veau, la salade et le dessert : de la brioche. Ce menu était bon, solide, invariable, tout le monde mangeait de bon coeur. Il n'y avait pas de vin d'appellation sur la table, le vin était du onze degrés tiré au petit tonneau que le Charles Dusurget, marchand de vins et spiritueux au village, fournissait régulièrement.
Les discussions étaient plutôt masculines, mon oncle travaillait à la mine, il conduisait le locotracteur qui tirait les wagonnets. Aussi la mine fournissait en abondance les éléments nécessaires aux débats avec des faits et anecdotes ressassés depuis longtemps ; cela énervait mon père, il amenait des sujets d'actualités et de guerre. La conversation changeait, j'entendais parler du Daumy, du Kako, de la Manon, du Duroselle, Le "Bazeille" docteur de la mine avait droit aussi aux commentaires et naturellement du Cézard le Curé. Le rire arrivait souvent au dessert. Doué, mon oncle imitait un certain nombre de personnes du village et du travail ; il déclenchait le fou-rire dans ses imitations de voix et de gestes, souvent les convives pleuraient de rire, c'était formidable. Soudain, la porte de la cuisine s'ouvrait et une femme se présentait en disant "Ca rigole là-dedans !" c'était la Marie Gaugé demeurant à quelques mètres de la maison, copine de maman à Eulmont ; elle s'était mariée avec Henri Viard de Bouxières-aux-Dames ; mes parents se connurent à leur mariage. Leur amitié réciproque, sans démonstration dura jusqu'à l'extinction des membres. Nous rencontrions cette famille à chaque voyage.
Mon grand-père aimait les animaux, il ne tolérait aucune malveillance envers ses chats et son chien. Au sous-sol un âne s'ennuyait, il participait aux travaux des champs, tirant une petite charrette légère roulant sur quatre roues d'avion, rayonnées. Nous allions quelquefois chercher de l'herbe avec cet attelage, il filait bon train et puis brusquement il s'arrêtait pile et nous attendions qu'il reparte. Mes grands parents n'étaient pas malheureux, mon grand-père touchait sa retraite des Mines de Fer ; lorsqu'il percevait cette pension, très attentionné il envoyait par les Magasins Réunis un colis de victuailles de choix à maman et à son autre belle-fille. Ils étaient estimés au village, on faisait halte chez eux en montant cette côte raide et les gens venaient les saluer.
En hiver, la journée passait vite et le soir arrivait, il fallait repartir. Lorsque nous quittions la maison, il faisait noir ; je n'étais pas tranquille, je cramponnais mes parents. Pourtant, sur la route, une lumière me rassurait c'était celle du signal de la voie de chemin de fer de couleur verte, visible de loin. Elle me rassurait - pourquoi ? Je n'en sais rien. Peut-être une présence? Quelques lampadaires aux ampoules faiblardes indiquaient que nous étions à Lay. Les maisons filtraient des raies de lumière à travers leurs persiennes, parfois des volets oubliés laissaient apparaître des fenêtres éclairant la rue et projetant des ombres chinoises. La haute Lay montée, nous étions chez nous, l'appel du but, la descente, activaient le pas. Et le sommeil me coiffait aussitôt interrompu par des douleurs aux jambes ; alors maman me frottait au liniment ou Baume de Rosen et je m'endormais pour de bon.
En été, lors du retour, nous croisions du monde, des piétons, des cyclistes, des motocyclistes et des autos. Le jeu de quilles de chez Fix comptait encore de nombreux joueurs.
Certains Dimanches étaient à marquer, nous avions droit à un concert, soit par une association laïque de la commune réunissant une clique ou par une association paroissiale rivale, la musique du Cézard comme je l'entendais dire. Cela se passait sous la fenêtre de la cuisine des grands parents, devant le café Pauly le voisin. On me demandait pour se moquer si j'allais manger "Le pâté aux grosses fèves" Spécialité de Bouxières.
Mon oncle Emile, en dehors de son appétit et de son poids, jouait de l'accordéon. Il connaissait peu le solfège et jouait de mémoire. Plusieurs accordéons étaient entrés dans la maison, tous des diatoniques sauf le dernier, un chromatique de marque Hohner, Fabrication allemande. Le Mimile se permettait malgré ses imperfections musicales, de jouer au bal chez Havette à Champigneulles les dimanches. Pour la partie musicale et technique, il consultait un musicien et constructeur à Nancy, nommé Bramante et il allait voir à Eulmont Louis Parvillez, grand musicien, organiste. Je me souviens avoir rendu visite à cet artiste local qui nous montra sa dernière acquisition : un métronome, appareil permettant de connaître la mesure des morceaux de musique. Je remarquais sur un meuble, un poste de radio Philips, avec son haut-parleur indépendant accroché haut dans l'encoignure. Ces moments me laissent de très bon souvenirs. Impressionné, j'écoutais les arpèges sortant sous les gros doigts du joyeux musicien. L'âne qui logeait en-dessous de la cuisine se mettait à braire et l'effet du son produit par ce défoulement animal me chatouillait la plante des pieds et me faisait rire.
Plus petit, la famille de Papa essayait de m'impressionner en cas de désobéissance en menaçant de me livrer au Kroumir, genre de Bohémien demeurant à Bouxières-aux-Dames. On disait charpagnate ou camps volants. Les Kroumirs, toute une famille, vivaient sous terre dans une cavité naturelle du sol, située du côté de la mine. Madame Jeanne Husson Guillerey en parle dans son histoire de la Mine de Fer de Bouxières, parue dans les bulletins municipaux au temps du Docteur Roussel, maire. On croirait lire les Lettres de Mon Moulin,cela déborde de tendresse.
La grande guerre éprouva durement mes grands parents ; Henri leur fils aîné disparu en 1914 près de Paris dans les Marais de Saint-Gond. Il ne fut jamais retrouvé. Dans la presse d'après guerre paraissaient parfois des avis de recherche avec photo de soldats, choqués sur les champs de bataille et devenus amnésiques, ils erraient d'hôpitaux en hôpitaux. Aussi mes grands parents regardaient si ce n'était par leur fils. Mon jeune âge ne m'empêchait pas de comprendre ces conversations.
Le grand jour, c'était la fête patronale. Elle se tenait vers la fin d'Août, le dimanche et le lundi ; il faisait toujours chaud.
Les forains et leurs métiers ainsi que le bal monté s'installaient en bas sur la petite place et sur la route départementale. En fin de matinée, aux environs de midi, les habitants remontaient le ravitaillement dont les desserts,- tartes brioches ou pâtés,- avaient été descendus pour cuire chez le boulanger. L'après-midi la grande animation se déplaçait sur la "Pelouse" où l'on dansait sous les tilleuls plusieurs fois centenaires. Les musiciens, campés sur un camion des Brasseries de Champigneulles, jouaient valses et polkas durant tout l'après-midi. Il y avait du monde sur cette esplanade, les marchands de glaces venus de la ville n'arrêtaient pas de remplir les cônes fragiles de glace blanche, jaune, rose ou verte. Nous étions à l'étage en dessous de la "Pelouse" chez les grands parents et la maison, par sa situation géographique, nous permettait d'assister à l'ascension des promeneurs fêtards, vestes jetées sur les épaules. Le café de chez Pauly, fenêtre ouverte, exhalait avec la fumée du tabac les éclats de voix des discussions et le grelot des canettes vides dans les caisses empilées à la hâte.
Profitant du jour de la fête patronale, une femme aveugle passait dans la rue et s'arrêtait à des endroits bien définis pour jouer de la mandoline en chantant une chanson, son accompagnatrice la guidait, chantait avec elle et les auditeurs donnaient la pièce. Je les ai vues presque chaque année. Leur tour de chant se terminait toujours par le dernier air à la mode, cette année là, on chantait : "il avait des pompons Gaston". Une fois, elles avaient du mal de monter étant saoules comme des grives. Un homme de tempérament ardent excédé par la chanson et la musique bruyante, leur jeta depuis sa fenêtre le contenu d'un vase de nuit. Ces deux dames portaient des chaussures genre bottes à lacets montant assez haut sur leurs mollets très gros. Le serrage du lacet ne pouvant fermer le haut de la chaussure, cela ressemblait à des entonnoirs tant l'évasement restait important.
En fin de journée des hommes étaient ivres, des bagarres éclataient, verres et canettes volaient ; en voulant regarder, mon père reçu une bouteille en pleine figure lui occasionnant une blessure, jetant le sang et maculant sa chemise blanche. Cet incident gâcha la fête.
Nous couchions à Bouxières dans un lit très haut en matelas et plumons. Le lundi matin tôt, j'entendais parler doucement, les cercles de la cuisinière s'entrechoquaient, le moulin à café écrasait avec régularité les grains, et bientôt l'odeur du café se répandait dans la maison ; nous allions prendre le petit déjeuner avec de la brioche ou du baba restant de la veille. Ce lundi, une célébration se tenait à l'église à 10 H pour les défunts du village. Les femmes respectaient cette coutume et y participaient avec dévotion. Seule maman restait, régnant sur le fourneau, préparant le repas de midi. Elle s'attirait toujours des compliments pour sa cuisine et pour ses plats de qualité auxquels elle mettait un point d'honneur.
Les jours de Nouvel An fatiguaient, nous arrivions comme d'habitude, mais il fallait faire la tournée chez les tantes de mon père. Nous commencions par la tante Martine qui demeurait quelques maisons en dessous ; grande, parlant d'une voix assez grave, cette femme d'une douceur inépuisable se trouvait heureuse et contente de nous voir ; elle offrait chaque année des cerises à l'eau de vie et malgré les protestations de mes parents, j'avalais plusieurs de ces petits fruits alcoolisés. Tante Martine concluait toujours en disant : "ça ne lui fera pas de mal".
Ensuite, nous allions chez tante Marie et chez tante Mélie ; leur habitation se trouvait au bas du village. Mes parents étaient bien vus, nous y faisions un bon stage ; nous ne les voyions qu'une ou deux fois l'an. Tante Marie et tante Mélie, soeurs de mon grand-père, veuves toutes les deux, vivaient avec leurs filles, Paulette et Renée. Tante Mélie demeurait au rez-de-chaussée et tante Marie au premier. La maison était confortable, beaucoup plus que chez les grands parents. Notre "grosse", disait grand-père en parlant de sa soeur Marie, "s'est ramassé des sous", de ce fait elle géra une succursale de la coopérative "La Ruche de Pompey" au village même, sans négliger ses bénéfices personnels. Excellente cuisinière, les gens la demandait pour des repas importants, banquets, mariages, baptêmes, ... Elle tirait parti de tout afin de ne pas dépenser, frôlant l'avarice. Tante Mélie, très différente de sa soeur déjà par le physique, -grande, mince, gentille,- adorait les animaux depuis le chat jusqu'aux poules en passant par un perroquet que papa ennuyait sans cesse. Tante Mélie le suppliait : "Laisse-le, Bébert" cette demande répétée le laissait insensible et il fallait que maman s'en mêla. Cuisinière comme sa soeur, elle ne cherchait pas de clients.
Il y avait encore une tante à Aingeray, Odile, soeur de mon grand-père également. Mariée à un cultivateur nommé Bruant, je l'ai vue une fois en 1935 ; tante Marie nous avait emmenés avec un garçon de mon âge, parisien, André Pierron. Nous avons débarqués à la gare de Liverdun et nous avons gagné Aingeray à pied. J'ai retenu quelque chose : tante Odile séchait des légumes l'été, quand il y avait pléthore ; ils étaient dans des sacs de toile, pendus aux crochets qui servent au séchage du lard et des jambons ; elle en jetait plusieurs poignées dans la soupe qui cuisait. En observant cette parente proche, je remarquais ses beaux cheveux crépus, frisés et ébouriffés ; elle nous accueillait très aimablement. Mon père vint nous retrouver le dimanche en moto pour le repas de midi. Leur vin de pays coloré violet très foncé leur servait pour écrire. Le père Bruant montra l'encrier. On nous montra le jardin situé derrière la maison, il était pentu ; une montée en rappel n'aurait paru exagérée.
Le Lundi pour le retour, c'est en chariot, assis sur deux bottes de paille, que le père Bruant nous ramena à la gare de Liverdun. Ces braves gens nous invitèrent à revenir mais la guerre arriva et tout s'estompa. Mon père se rendit à leurs obsèques pendant l'occupation. Ils avaient un fils que j'ai toujours entendu appeler "Le Gros d'Aingeray", décédé également. Marié, il fut père de deux enfants, un garçon et une fille.
Mes parents se rendaient le Dimanche chez mes grands-parents et ce, presque tous les quinze jours. Nous partions à pied vers Bouxières. Le départ se situait entre 10 H et 10 H 30 afin d'arriver pour l'heure du repas. Nous mettions une heure pour faire cinq kilomètres et à l'âge de six ans, je figurais parmi les grands piétons. Nous passions par la Haute Lay et en un quart d'heure, nous étions à Lay. Papa, connu, saluait beaucoup de personnes accompagnant cette politesse d'un sourire, d'une parole aimable ou d'une blague ; il s'attirait les remarques de maman qui sélectionnait ses saluts et ne saluait "pas n'importe qui". Et nous avancions mes mains prises dans une de chacun d'eux, nous dépassions la Cartonnerie située près de chez Raval. On fabriquait du carton à Lay, eh oui ! En recyclant de vieux papiers et des filtres usagés des Brasseries. Les feuilles de cartons séchaient sous des hangars et, pendant la semaine, la machine à vapeur envoyait sa fumée et son bruit de teuf-teuf.
Nous commencions à monter et nous passions sous le Sana. Une pancarte arquée mentionnait en grosses lettres "SANATORIUM". De loin, cette immense maison me paraissait belle, placée sur un fond de sapins et de verdure, mon père disait "c'est les tuberculeux" et d'après les réponses qu'il me donnait, il me semblait que ces malades portaient la responsabilité de leur maladie. Une ou deux voitures nous croisaient, c'était tout. Rares étaient ceux qui s'arrêtaient pour nous charger. Bref, nous arrivions au sommet et nous allions descendre la Côte des Corvées, la Tuilerie, chez Alten, le Café "A Robinson" chez Fix. Des gens nous saluaient, Papa répondait aux "Salut Bébert", c'était son pays. Nous remontions par derrière le château et encore quelques minutes et nous serions accueillis . Je me souviens, si nous avions un léger retard, j'entendais le bruit des cuillères raclant dans les assiettes et l'odeur du pot au feu en passant devant les maisons ; l'appétit décuplait.
Chez les grands-parents, la porte d'entrée était toujours ouverte ; Marquis, le beau Fox, venait au devant de nous. Nous entrions. Des exclamations, des embrassades, le visage de grand-père piquait et la grand-mère s'affolait pour mettre ses couverts et surveiller sa cuisine, échanges rapides de nouvelles. Mon oncle, ma tante et mon cousin arrivaient et nous nous asseyions autour de la table ronde, maman participait au service de la bouche, aidant la grand-mère, et le repas débutait par la soupe du pot-au-feu, suivaient les légumes, les viandes de boeuf et veau, la salade et le dessert : de la brioche. Ce menu était bon, solide, invariable, tout le monde mangeait de bon coeur. Il n'y avait pas de vin d'appellation sur la table, le vin était du onze degrés tiré au petit tonneau que le Charles Dusurget, marchand de vins et spiritueux au village, fournissait régulièrement.
Les discussions étaient plutôt masculines, mon oncle travaillait à la mine, il conduisait le locotracteur qui tirait les wagonnets. Aussi la mine fournissait en abondance les éléments nécessaires aux débats avec des faits et anecdotes ressassés depuis longtemps ; cela énervait mon père, il amenait des sujets d'actualités et de guerre. La conversation changeait, j'entendais parler du Daumy, du Kako, de la Manon, du Duroselle, Le "Bazeille" docteur de la mine avait droit aussi aux commentaires et naturellement du Cézard le Curé. Le rire arrivait souvent au dessert. Doué, mon oncle imitait un certain nombre de personnes du village et du travail ; il déclenchait le fou-rire dans ses imitations de voix et de gestes, souvent les convives pleuraient de rire, c'était formidable. Soudain, la porte de la cuisine s'ouvrait et une femme se présentait en disant "Ca rigole là-dedans !" c'était la Marie Gaugé demeurant à quelques mètres de la maison, copine de maman à Eulmont ; elle s'était mariée avec Henri Viard de Bouxières-aux-Dames ; mes parents se connurent à leur mariage. Leur amitié réciproque, sans démonstration dura jusqu'à l'extinction des membres. Nous rencontrions cette famille à chaque voyage.
Mon grand-père aimait les animaux, il ne tolérait aucune malveillance envers ses chats et son chien. Au sous-sol un âne s'ennuyait, il participait aux travaux des champs, tirant une petite charrette légère roulant sur quatre roues d'avion, rayonnées. Nous allions quelquefois chercher de l'herbe avec cet attelage, il filait bon train et puis brusquement il s'arrêtait pile et nous attendions qu'il reparte. Mes grands parents n'étaient pas malheureux, mon grand-père touchait sa retraite des Mines de Fer ; lorsqu'il percevait cette pension, très attentionné il envoyait par les Magasins Réunis un colis de victuailles de choix à maman et à son autre belle-fille. Ils étaient estimés au village, on faisait halte chez eux en montant cette côte raide et les gens venaient les saluer.
En hiver, la journée passait vite et le soir arrivait, il fallait repartir. Lorsque nous quittions la maison, il faisait noir ; je n'étais pas tranquille, je cramponnais mes parents. Pourtant, sur la route, une lumière me rassurait c'était celle du signal de la voie de chemin de fer de couleur verte, visible de loin. Elle me rassurait - pourquoi ? Je n'en sais rien. Peut-être une présence? Quelques lampadaires aux ampoules faiblardes indiquaient que nous étions à Lay. Les maisons filtraient des raies de lumière à travers leurs persiennes, parfois des volets oubliés laissaient apparaître des fenêtres éclairant la rue et projetant des ombres chinoises. La haute Lay montée, nous étions chez nous, l'appel du but, la descente, activaient le pas. Et le sommeil me coiffait aussitôt interrompu par des douleurs aux jambes ; alors maman me frottait au liniment ou Baume de Rosen et je m'endormais pour de bon.
En été, lors du retour, nous croisions du monde, des piétons, des cyclistes, des motocyclistes et des autos. Le jeu de quilles de chez Fix comptait encore de nombreux joueurs.
Certains Dimanches étaient à marquer, nous avions droit à un concert, soit par une association laïque de la commune réunissant une clique ou par une association paroissiale rivale, la musique du Cézard comme je l'entendais dire. Cela se passait sous la fenêtre de la cuisine des grands parents, devant le café Pauly le voisin. On me demandait pour se moquer si j'allais manger "Le pâté aux grosses fèves" Spécialité de Bouxières.
Mon oncle Emile, en dehors de son appétit et de son poids, jouait de l'accordéon. Il connaissait peu le solfège et jouait de mémoire. Plusieurs accordéons étaient entrés dans la maison, tous des diatoniques sauf le dernier, un chromatique de marque Hohner, Fabrication allemande. Le Mimile se permettait malgré ses imperfections musicales, de jouer au bal chez Havette à Champigneulles les dimanches. Pour la partie musicale et technique, il consultait un musicien et constructeur à Nancy, nommé Bramante et il allait voir à Eulmont Louis Parvillez, grand musicien, organiste. Je me souviens avoir rendu visite à cet artiste local qui nous montra sa dernière acquisition : un métronome, appareil permettant de connaître la mesure des morceaux de musique. Je remarquais sur un meuble, un poste de radio Philips, avec son haut-parleur indépendant accroché haut dans l'encoignure. Ces moments me laissent de très bon souvenirs. Impressionné, j'écoutais les arpèges sortant sous les gros doigts du joyeux musicien. L'âne qui logeait en-dessous de la cuisine se mettait à braire et l'effet du son produit par ce défoulement animal me chatouillait la plante des pieds et me faisait rire.
Plus petit, la famille de Papa essayait de m'impressionner en cas de désobéissance en menaçant de me livrer au Kroumir, genre de Bohémien demeurant à Bouxières-aux-Dames. On disait charpagnate ou camps volants. Les Kroumirs, toute une famille, vivaient sous terre dans une cavité naturelle du sol, située du côté de la mine. Madame Jeanne Husson Guillerey en parle dans son histoire de la Mine de Fer de Bouxières, parue dans les bulletins municipaux au temps du Docteur Roussel, maire. On croirait lire les Lettres de Mon Moulin,cela déborde de tendresse.
La grande guerre éprouva durement mes grands parents ; Henri leur fils aîné disparu en 1914 près de Paris dans les Marais de Saint-Gond. Il ne fut jamais retrouvé. Dans la presse d'après guerre paraissaient parfois des avis de recherche avec photo de soldats, choqués sur les champs de bataille et devenus amnésiques, ils erraient d'hôpitaux en hôpitaux. Aussi mes grands parents regardaient si ce n'était par leur fils. Mon jeune âge ne m'empêchait pas de comprendre ces conversations.
Le grand jour, c'était la fête patronale. Elle se tenait vers la fin d'Août, le dimanche et le lundi ; il faisait toujours chaud.
Les forains et leurs métiers ainsi que le bal monté s'installaient en bas sur la petite place et sur la route départementale. En fin de matinée, aux environs de midi, les habitants remontaient le ravitaillement dont les desserts,- tartes brioches ou pâtés,- avaient été descendus pour cuire chez le boulanger. L'après-midi la grande animation se déplaçait sur la "Pelouse" où l'on dansait sous les tilleuls plusieurs fois centenaires. Les musiciens, campés sur un camion des Brasseries de Champigneulles, jouaient valses et polkas durant tout l'après-midi. Il y avait du monde sur cette esplanade, les marchands de glaces venus de la ville n'arrêtaient pas de remplir les cônes fragiles de glace blanche, jaune, rose ou verte. Nous étions à l'étage en dessous de la "Pelouse" chez les grands parents et la maison, par sa situation géographique, nous permettait d'assister à l'ascension des promeneurs fêtards, vestes jetées sur les épaules. Le café de chez Pauly, fenêtre ouverte, exhalait avec la fumée du tabac les éclats de voix des discussions et le grelot des canettes vides dans les caisses empilées à la hâte.
Profitant du jour de la fête patronale, une femme aveugle passait dans la rue et s'arrêtait à des endroits bien définis pour jouer de la mandoline en chantant une chanson, son accompagnatrice la guidait, chantait avec elle et les auditeurs donnaient la pièce. Je les ai vues presque chaque année. Leur tour de chant se terminait toujours par le dernier air à la mode, cette année là, on chantait : "il avait des pompons Gaston". Une fois, elles avaient du mal de monter étant saoules comme des grives. Un homme de tempérament ardent excédé par la chanson et la musique bruyante, leur jeta depuis sa fenêtre le contenu d'un vase de nuit. Ces deux dames portaient des chaussures genre bottes à lacets montant assez haut sur leurs mollets très gros. Le serrage du lacet ne pouvant fermer le haut de la chaussure, cela ressemblait à des entonnoirs tant l'évasement restait important.
En fin de journée des hommes étaient ivres, des bagarres éclataient, verres et canettes volaient ; en voulant regarder, mon père reçu une bouteille en pleine figure lui occasionnant une blessure, jetant le sang et maculant sa chemise blanche. Cet incident gâcha la fête.
Nous couchions à Bouxières dans un lit très haut en matelas et plumons. Le lundi matin tôt, j'entendais parler doucement, les cercles de la cuisinière s'entrechoquaient, le moulin à café écrasait avec régularité les grains, et bientôt l'odeur du café se répandait dans la maison ; nous allions prendre le petit déjeuner avec de la brioche ou du baba restant de la veille. Ce lundi, une célébration se tenait à l'église à 10 H pour les défunts du village. Les femmes respectaient cette coutume et y participaient avec dévotion. Seule maman restait, régnant sur le fourneau, préparant le repas de midi. Elle s'attirait toujours des compliments pour sa cuisine et pour ses plats de qualité auxquels elle mettait un point d'honneur.
Les jours de Nouvel An fatiguaient, nous arrivions comme d'habitude, mais il fallait faire la tournée chez les tantes de mon père. Nous commencions par la tante Martine qui demeurait quelques maisons en dessous ; grande, parlant d'une voix assez grave, cette femme d'une douceur inépuisable se trouvait heureuse et contente de nous voir ; elle offrait chaque année des cerises à l'eau de vie et malgré les protestations de mes parents, j'avalais plusieurs de ces petits fruits alcoolisés. Tante Martine concluait toujours en disant : "ça ne lui fera pas de mal".
Ensuite, nous allions chez tante Marie et chez tante Mélie ; leur habitation se trouvait au bas du village. Mes parents étaient bien vus, nous y faisions un bon stage ; nous ne les voyions qu'une ou deux fois l'an. Tante Marie et tante Mélie, soeurs de mon grand-père, veuves toutes les deux, vivaient avec leurs filles, Paulette et Renée. Tante Mélie demeurait au rez-de-chaussée et tante Marie au premier. La maison était confortable, beaucoup plus que chez les grands parents. Notre "grosse", disait grand-père en parlant de sa soeur Marie, "s'est ramassé des sous", de ce fait elle géra une succursale de la coopérative "La Ruche de Pompey" au village même, sans négliger ses bénéfices personnels. Excellente cuisinière, les gens la demandait pour des repas importants, banquets, mariages, baptêmes, ... Elle tirait parti de tout afin de ne pas dépenser, frôlant l'avarice. Tante Mélie, très différente de sa soeur déjà par le physique, -grande, mince, gentille,- adorait les animaux depuis le chat jusqu'aux poules en passant par un perroquet que papa ennuyait sans cesse. Tante Mélie le suppliait : "Laisse-le, Bébert" cette demande répétée le laissait insensible et il fallait que maman s'en mêla. Cuisinière comme sa soeur, elle ne cherchait pas de clients.
Il y avait encore une tante à Aingeray, Odile, soeur de mon grand-père également. Mariée à un cultivateur nommé Bruant, je l'ai vue une fois en 1935 ; tante Marie nous avait emmenés avec un garçon de mon âge, parisien, André Pierron. Nous avons débarqués à la gare de Liverdun et nous avons gagné Aingeray à pied. J'ai retenu quelque chose : tante Odile séchait des légumes l'été, quand il y avait pléthore ; ils étaient dans des sacs de toile, pendus aux crochets qui servent au séchage du lard et des jambons ; elle en jetait plusieurs poignées dans la soupe qui cuisait. En observant cette parente proche, je remarquais ses beaux cheveux crépus, frisés et ébouriffés ; elle nous accueillait très aimablement. Mon père vint nous retrouver le dimanche en moto pour le repas de midi. Leur vin de pays coloré violet très foncé leur servait pour écrire. Le père Bruant montra l'encrier. On nous montra le jardin situé derrière la maison, il était pentu ; une montée en rappel n'aurait paru exagérée.
Le Lundi pour le retour, c'est en chariot, assis sur deux bottes de paille, que le père Bruant nous ramena à la gare de Liverdun. Ces braves gens nous invitèrent à revenir mais la guerre arriva et tout s'estompa. Mon père se rendit à leurs obsèques pendant l'occupation. Ils avaient un fils que j'ai toujours entendu appeler "Le Gros d'Aingeray", décédé également. Marié, il fut père de deux enfants, un garçon et une fille.
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